Après plusieurs jours de ski en Autriche dans le but de poursuivre son intensive rééducation, Alexis Pinturault était de retour en France auprès de sa famille. Le champion français, victime d’une rupture du ligament croisé antérieur du genou gauche lors du super-G de Wengen en janvier dernier, retrouve progressivement la forme et espère faire son retour à la compétition début décembre à Beaver Creek.

Mais avant de s’envoler pour les États-Unis, le vainqueur du grand Globe de cristal en 2021, qui comptabilise également 77 podiums en Coupe du monde, trois titres mondiaux et trois médailles olympiques, nous a accordé une petite interview dans le cadre de notre émission l’Après-Ski. L’occasion de parler de la polyvalence des athlètes sur le Cirque blanc avec l’un des meilleurs skieurs de la décennie et ses objectifs pour le futur.

Alexis Pinturault, avant tout chose, comment allez-vous et comment se passe votre rééducation après votre accident à Wengen?

Ça va plutôt bien. Dans l’ensemble, la convalescence s’est plutôt bien passée. Maintenant, je me trouve dans la dernière étape, celle de remettre de l’intensité en vue de revenir à la compétition. Et l’objectif, c’est d’être présent bien entendu à Beaver Creek.

Justement, il y aura une descente, un super-G et un géant dans la station américaine, dans quelle discipline peut-on vous attendre au départ?

Ça reste encore à définir. Est-ce que j’arriverai à m’aligner sur les trois? Dans l’idée, j’aimerais bien. Avec les entraineurs, c’est ce qu’on essaie de faire. Mais si on doit faire un choix, on le fera, probablement au détriment de la descente. Il faut savoir que depuis que j’ai repris le ski, je n’ai jamais fait plus de quatre jours à la suite, pour économiser mon genou, pour qu’il se remette bien, pour ne pas qu’il y ait d’inflammation au quotidien. Ça va être un réel challenge d’envisager de faire cinq jours à la suite, si on compte les deux jours d’entrainement et les trois de courses. Cela signifie aussi des intensités qui seront au maximum. Ça impactera fortement mon genou, il faut en être conscient. C’est pour cela que je dis, s’il faut faire des choix, il faudra être judicieux.

Peu sont encore les skieurs véritablement polyvalents. Or, vous en avez fait une force au cours de votre carrière. En quoi est-ce important pour vous de savoir performant dans toutes les disciplines?

Il y a plusieurs raisons. Déjà parce que dans le ski, on peut gagner un gros Globe (ndlr: pour le vainqueur du classement général). Donc qui dit gros Globe, dit avoir des concurrents qui s’alignent sur plusieurs disciplines. Cela signifie s’aligner dans trois disciplines globalement. Si ce n’était pas possible de le faire par rapport au calendrier, il faudrait se poser la question de l’intérêt d’avoir toujours un gros Globe. Par contre, derrière, il y a aussi un intérêt avec des réels défis, de logistique et d’entrainement. Et ça pousse les gens à être intéressés par l’histoire de notre sport et aussi par les compétitions qu’il peut y avoir pour aller chercher le gros Globe de cristal.

Et dans l’histoire, nombreux sont les athlètes à avoir marqué le ski alpin de par leur polyvalence. En Suisse, on pense immédiatement à Pirmin Zurbriggen par exemple.

Pirmin Zurbriggen, mais il y en a beaucoup d’autres. Je n’ai pas envie de tous les citer parce qu’on va forcément en oublier. La liste est quand même longue et ce sont des grands champions. On pense à un Benjamin Raich, à un Bode Miller, à des Jean-Claude Killy à l’époque… Même un Marcel Hirscher s’est aligné pendant sa carrière sur plusieurs disciplines. Marco Odermatt aujourd’hui est présent sans arrêt sur trois disciplines. Donc ça montre que les plus grands skieurs, en tout cas ceux qui marquent beaucoup notre sport, ont tendance à pratiquer beaucoup de disciplines ou, en tout cas, à être performants dans beaucoup de disciplines. Parce qu’il est là l’intérêt: de pouvoir gagner dans plusieurs d’entre elles.

Il y a un peu plus d’une année, vous avez fait le choix de laisser tomber le slalom, alors que vous étiez pendant une décennie l’un des meilleurs spécialistes pour vous lancer en descente, en plus du géant et du super-G. Pourquoi ce choix?

Le choix venait un peu plus d’une orientation et d’une motivation dans ma carrière. J’étais arrivé à 31 ans, je finissais ma saison et je me disais: « Je suis devenu champion du monde chez moi (ndlr: en combiné à Courchevel en 2023), j’ai gagné le gros Globe, j’ai gagné dans presque toutes les disciplines et il y en a encore une seule où je n’ai jamais réussi à aller chercher le podium, ni la victoire. Peut-être que c’est le moment de s’essayer à cette discipline”. J’ai eu pendant de nombreuses années l’occasion, avec les combinés, de me frotter sur la descente. J’avais pris le départ de presque toutes les descentes du circuit, mais pas avec le même objectif, bien entendu. Maintenant, depuis la saison dernière, l’objectif a changé et je trouve cette motivation très intéressante. Cela me permet aussi de voir les choses différemment pour la fin de ma carrière. Je ne vise plus réellement le gros Globe, même plus du tout, donc je peux me concentrer sur autres choses, je peux me trouver de nouvelles motivations et des nouvelles formes de m’entrainer pour m’améliorer. Et ça, je trouve que c’est enrichissant pour la deuxième partie de ma carrière.

Justement, combien de temps, pensez-vous encore skier au plus haut niveau lors de cette seconde partie de carrière?

Là, c’est sûr qu’avec la blessure, c’est un peu différent. On met les choses un peu à plat, on prend un peu plus de recul à nouveau. Ce qui est sûr, c’est que j’irai aux Jeux de Milan-Cortina en 2026. Après, il faudra certainement faire un point: qu’est-ce que j’ai envie de faire, vers quoi ai-je envie d’aller. Est-ce que j’irai un peu plus loin? Ce n’est pas impossible, mais je ne suis pas non plus certain que j’aille jusqu’aux Jeux olympiques de 2030 qui sont à la maison.

S’il reste un rêve accomplir, lequel serait-ce? Devenir champion olympique ou remporter une descente?

(Rires) C’est une question difficile. C’est sûr que l’or olympique, ça parlera à tout le monde, donc c’est probablement l’un des plus beaux Graals quand on est un athlète, et pas uniquement skieur. Je pense que c’est quelque chose que j’aimerai pouvoir gagner dans ma carrière. Je choisirais naturellement l’or olympique. Mais c’est sûr que remporter une victoire en descente, ça parlerait aux puristes du ski alpin, ça parlerait à tous les passionnés, à tout ceux qui aiment notre sport. C’est une dimension qui est différente mais qui va plus être pour les pro-ski et non pas pour le sportif que je peux être dans son ensemble.

Johan Tachet/SSW