Vingt. C’est le nombre de médailles mondiales et olympiques, record à battre, remportées par Kjetil André Aamodt. Dix-sept ans après sa retraite des pistes, après un ultime titre olympique en super-G aux Jeux olympiques de Turin, la légende scandinave de 51 ans possède toujours une certaine aura sur le Cirque blanc.
Nous avons rencontré, en marge du géant d’Adelboden, celui qui est désormais consultant pour une télévision norvégienne et qui travaille pour la candidature de Narvik aux Championnats du monde 2029. Henrik Kristoffersen, la talentueuse équipe de Norvège, Marco Odermatt et les Suisses, la polyvalence des athlètes ou encore le combiné, le viking a des choses à raconter. À commencer par une histoire de cloche perdue après sa victoire en 1997 sur la Chuenisbärgli, une deuxième reçue à nouveau par les organisateurs puis à nouveau perdue… Oui, Kjetil André Aamodt est bien un phénomène dans tous les sens du terme.
Kjetil André Aamodt, êtes-vous surpris par les excellents résultats d’Henrik Kristoffersen qui évolue avec une nouvelle marque de skis, les Van Deer – Red Bull de Marcel Hirscher?
C’est vrai qu’il s’est adapté très rapidement. Mais si vous regardez l’histoire d’Henrik et tous les succès et podiums qu’il a amassés, même avec son ancien matériel, vous vous rendez vite compte qu’à la base, c’est un excellent skieur. Mais c’est une surprise dans le sens où il n’est jamais facile de changer de matériel et de trouver si rapidement des repères, de se montrer d’entrée aussi compétitif qu’il l’est.
Comment la nouvelle du changement de matériel avait-elle été accueillie en Norvège? Pensiez-vous que c’était risqué?
Personnellement, je n’étais pas vraiment surpris parce qu’il se plaignait énormément avec sa précédente marque (ndlr: Rossignol). Même si le matériel est évidemment important, c’est quand même les qualités de l’athlète avant tout qui font la différence. Lindsey Vonn était aussi parvenue à rester au sommet en changeant de matériel. Parce qu’elle, comme Henrik, sont de très bons athlètes. Je ne porte en réalité pas trop d’importance au matériel. On pouvait faire la différence à mon époque, mais aujourd’hui, c’est compliqué. Tout est régulé, le rayon et la taille de skis pour ne prendre que cet exemple. Ce n’est pas fair-play.
Qu’entendez-vous par là?
Regardez en slalom, où la taille minimale est de 165 centimètres pour les skis alors que vous avez de petits skieurs comme Albert Popov et des géants comme Ramon Zenhäusern. Pour des raisons de sécurité, ce n’est pas optimal non plus. Je suis certain qu’Albert Popov opterait pour des 155 centimètres. A ce niveau, la FIS a fait des erreurs.
On a parlé de votre compatriote Henrik Kristoffersen, parlons un peu de Marco Odermatt…
On a tous besoin d’une superstar. Quand il a gagné le super-G à Bormio, il m’a fait penser à Hermann Maier et sa rage de vaincre, à la différence que Marco a l’air tout gentil, qu’il a un visage de bébé (rires). Mais il a la même agressivité. Il a un ski très offensif, c’est un grand athlète qui peut gagner encore durant de nombreuses années. Il a tout pour cela. Je ne vois pas beaucoup de skieurs actuels qui peuvent atteindre 50 succès en carrière. Je pense qu’il peut y parvenir et battre des Alberto Tomba ou des Hermann Maier. Seules le manque de motivation et les blessures peuvent l’empêcher de battre cette marque de 50 victoires en Coupe du monde. Attention quand même aux Lucas Braathen et Atle Lie McGrath, qui pourraient le challenger ces prochains hivers. Ils sont déjà bons en géant et slalom, et ils commencent aussi à être rapides en super-G.
Marco Odermatt peut-il aussi s’attaquer à votre record aux Jeux olympiques et aux Championnats du monde avec vos 20 médailles remportées?
Non, ça ce n’est pas possible (rires). Plus sérieusement, chaque record est fait pour être battu. C’est donc évidemment possible. Mais cela prend un certain temps.
La jeune génération norvégienne peut aussi chasser des records. Comment voyez-vous cette nouvelle génération ?
C’est juste incroyable de voir cette profondeur. Elle offre une belle dynamique dans l’équipe que Henrik a quittée. Mais c’est une bonne chose. Henrik a quand même un caractère spécial. Il se gère de son côté.
Justement, comment analysez-vous l’éclosion de ces jeunes skieurs?
Le ski est un business de famille. Vous devez pouvoir compter sur des parents qui vous mettent sur des skis à trois ou quatre ans. Après, c’est aussi une question de talent. Les fédérations nationales, en Norvège ou ailleurs, ne peuvent rien faire avec des jeunes qui n’ont pas de talent. Ensuite, une fois arrivée en haut, c’est une véritable famille qui se crée chez nous.
Cet esprit de famille est fondamental dans les succès des Norvégiens?
Totalement. Aksel Lund Svindal l’a très longtemps cultivé. Maintenant, on a Aleskander Aamodt Kilde, un super bon type, comme Atle Lie McGrath et Lucas Braathen. C’est vraiment une équipe. Le seul moment où ils ne forment pas une équipe, c’est lors des deux minutes où ils skient (rires). C’est comme ça en Norvège. La culture continue. Depuis 1999, nous avons à chaque fois au moins trois gros skieurs. En 2016, les Norvégiens ont gagné 43% des courses. La saison dernière aussi, 43%, soit 16 compétitions de Coupe du monde de gagnées. C’est assez incroyable pour un aussi petit pays. On a beaucoup de neige, ça aide.
C’est assez phénoménal d’observer que chaque génération norvégienne possède de grands skieurs.
Oui, dans les années 90, j’étais avec Lasse (Kjus), puis ensuite il y a eu successivement les Kjetil Jansrud, Aksel Lund Svindal, Lucas Braathen, Atle Lie McGrath, Henrik Kristoffersen, qui sont encore meilleurs. Ce n’est pas normal pour un aussi petit pays de rester au sommet si longtemps. Je pense que l’on a un très bon système avec les clubs et les écoles. C’est la seconde raison de notre succès.
Peut-on comparer l’équipe de Suisse, avec celle de Norvège?
Oui, totalement. Dans les années 1980, la Suisse était très forte avec Pirmin Zurbriggen, Peter Müller et compagnie. Ensuite, il y a eu Mike von Grünigen, Paul Accola, Urs Kälin, ces gars-là. En slalom, la Suisse était mauvaise depuis un certain temps, mais maintenant elle revient fort aussi dans la discipline. Si on prend encore Beat Feuz et Didier Cuche, vous avez quasiment toujours eu des bons skieurs, c’est intéressant. E si on regarde actuellement les Autrichiens qui sont moins bien, on remarque qu’il existe des cycles, avec des hauts et des bas. Je pense qu’il est important de garder les gens qui ont les bonnes connaissances, éviter de les perdre, de les garder dans le système. C’est la manière dont la Norvège et la Suisse travaillent.
Vous étiez considéré comme l’athlète le plus complet du circuit en participant à toutes les disciplines. En Suisse, nous avons Loïc Meillard. Comment analysez-vous qu’il y ait désormais si peu de skieurs polyvalents?
J’aime voir Loïc Meillard sur les podiums. J’aime le voir se battre avec Lucas Braathen. Mais c’est compliqué. Pourtant, on voit que ça fonctionne chez les dames. Tina Maze et Mikaela Shiffrin gagnaient ou gagnent dans toutes les disciplines. C’est possible. Il suffit juste d’un gars avec du talent, qui a tout et qui peut gagner beaucoup de courses. Le dernier comme ça, c’était Bode Miller. Il gagnait dans quatre disciplines en deux semaines.
Comment motiveriez-vous les jeunes athlètes à skier dans toutes les disciplines?
En fait, je dirais aux jeunes générations de ne pas faire ce que je faisais (rires). C’était fatigant. C’est peut-être aussi pour ça que j’étais meilleurs dans les grands championnats, j’avais plus de temps pour me préparer. C’est dur parfois de se préparer pour chaque course sur l’ensemble de la saison. Un hiver, à Val d’Isère, j’ai skié la descente, le super-G, le géant et le slalom en quatre jours, en débarquant tout juste des États-Unis. C’est vraiment dur, surtout de changer de skis quotidiennement. Mais c’était aussi de ma faute.
Vous qui avez été champion du monde et olympique de combiné à plusieurs reprises, estimez-vous qu’aujourd’hui, cette épreuve a toujours un sens?
Le combiné est intéressant. On ne sait jamais qui va gagner le remporter à l’avance. Je pense que la FIS doit le conserver. Mais le marché décide. La discipline importe peu. On pourrait mélanger d’autres disciplines, c’est égal. On doit juste profiter des Classiques comme Kitzbühel et Wengen et construire avec. C’est ce qui va sauver le ski alpin.
Pensez-vous que Lillehammer peut organiser à nouveau les Jeux olympiques dans un futur à proche?
Oui, mais il y a beaucoup d’oppositions, de la corruption. Tout est très difficile. Mais on veut déjà avoir les Championnats du monde de ski alpin à Narvik en 2029. C’est un super endroit. N’oublions pas que nous n’avons jamais eu les Mondiaux alors que nous sommes l’une des meilleures nations au monde de ces trente dernières années. Je bosse pour Narvik désormais et j’espère pouvoir convaincre les membres du Conseil de la FIS. J’ai énormément skié là-bas, ce serait un magnifique événement. Les pistes sont top, elles arrivent dans la ville, c’est dans la nature. Et c’est vraiment l’hiver.
Laurent Morel & Johan Tachet, Courchevel/Adelboden