Le Freeride World Tour va reprendre ses droits à Hakuba pour sa première en Asie. Dans les Alpes japonaise, Yann Rausis (24 ans) et Elisabeth Gerritzen (22 ans) seront les seuls Suisses au départ après la décision d’Anne-Flore Marxer de ne pas s’aligner cet hiver. Les deux riders de Verbier, partagent leur vie entre les champs de poudreuse et les auditoires de l’université où ils étudient la physique pour le premier et les relations internationales pour la seconde. Avant le début de leur 2e saison sur le Tour, ils se sont livrés, en toute sincérité.

Comment s’est passé votre automne?

Elisabeth Gerritzen: C’est la période la plus compliquée car il y a le ski, les études et la préparation physique à concilier. Je suis contente de pouvoir désormais me concentrer sur le ski. Personnellement, je n’ai pas pu skier cet été car j’avais des examens en août. Je ne me suis pas vraiment entraînée.

Yann Rausis: C’est en effet difficile car il faut gérer les études, les examens, chercher des sponsors, etc. J’ai eu la chance de skier un mois en Nouvelle-Zélande cet été. J’ai aussi pas mal fait de VTT et de préparation physique. J’ai aussi commencé le yoga cet automne, notamment avec Emilien (ndlr: Badoux).

EG: Pas mal de skieur en font. Ca me donne assez envie, mais je n’ai pas encore suffisamment de temps et de motivation.

Réussissez-vous à gérer les différents aspects de votre vie?

EG: Ca se fait assez simplement. L’unique souci vient parfois du manque de temps. Il faut acheter un agenda pour organiser notre temps, c’est clair.

YR: Ce qui est bien, c’est que cette période compliquée est assez temporaire. Pour moi, ce n’est que durant 3 mois que je dois tout compacter dans un planning serré car les différents aspects se superposent. Sinon, pendant l’hiver, on peut quand même se concentrer sur le ski. Certes, pour les voyages il faut s’organiser, mais il y a aussi des moments plus détendus où on peut prendre du temps pour soit.

Physiquement, comment vous sentez-vous?

YR: Très bien, je me suis bien préparé. J’avais un peu mal à la hanche, mais rien de terrible.

EG: Comme Yann, je me suis bien préparée grâce un entraînement physique plusieurs fois par semaine et un suivi.

Yann, vous n’êtes pas passé très loin du titre de champion du monde l’hiver dernier. Quels vont être vos objectifs cette année?

YR: Je ne me fixe jamais d’objectifs très précis au niveau des résultats. Je souhaite surtout faire les lignes qui soient les plus belles, techniques, créatives et fluides possibles. Forcément, si j’y parviens, les résultats vont suivre.

Quelle est l’étape que vous attendez le plus sur le circuit?

YR: Le Canada (Kicking Horse). Je n’ai jamais eu l’occasion d’aller skier là-bas et j’ai vu tellement d’images tournées à cet endroit que ça me fait vraiment envie. Je ne sais pas si ça va être à la hauteur de mon imagination, mais je l’espère.

EG: Idem pour moi.

Elisabeth, vous avez gagné l’étape de Qualifiers au Japon l’an passé. Cette fois, c’est le Freeride World Tour qui fait étape à Hakuba. Vous vous réjouissez?

EG: Oui, c’est clair. Mais ça va être différent de 2017. Toutes les meilleures filles seront là donc je ne pars pas comme favorite. Le Japon, c’est un pays incroyable avec une culture vraiment différente de celle qu’on retrouve sur les autres étapes. C’est hyper enrichissant.

Pour vous, la neige est différente selon les continents?

YR: En Alaska, l’an passé, on l’a vraiment ressenti comme ça. Le manteau neigeux était plus profond et en même temps plus compact. Du coup, ça donnait l’impression de skier dans une neige qui réagissait beaucoup plus lentement. Nos mouvements prenaient plus d’amplitude dans les contacts avec l’or blanc. Donc oui, il y a des différences, difficiles toutefois à décrire.

EG: Pour moi, au Japon l’an dernier, je ne la trouvais pas vraiment plus légère. Il y en avait tellement que ça mettait beaucoup de poids sur les skis finalement.

Elisabeth, vous aviez manqué les finales et avez dû passer par les Qualifiers pour conserver votre place parmi l’élite. Comment gérez-vous la pression du résultat, nécessaire au maintien dans le World Tour?

EG: Je l’ai passablement ressentie l’an passé, c’est clair. Je pense que ça s’est vu dans ma manière de skier, j’ai un peu fait n’importe quoi. Du coup, mon objectif est de ne pas me laisser influencer. Je dois plus réfléchir à mon ski qu’au résultat.

YR: La performance est très relative à ce que font notamment les autres riders, à une part de chance et de hasard qu’il y a toujours dans une compétition. Cela ne serait pas très sage de viser un titre et de ne penser qu’à ça. Il faut vivre chaque compétition et vraiment penser à son ski. C’est ce que j’essaie de faire.

Vous serez les seuls Suisses sur le World Tour cet hiver. Comment expliquez-vous cela?

YR: Ceux qui brillaient depuis longtemps sont partis car ils avaient d’autres projets. Du coup, l’ancienne génération n’a pas encore vraiment été remplacée. La nouvelle ne demande qu’à monter sur le Tour. A mon avis, cette situation est très temporaire. Derrière, ça pousse fort. Je ne me fais aucun souci.

Le freeride suisse n’est pas en perte du vitesse donc?

YR: Je ne crois vraiment pas. J’ai quelques amis qui étaient à un rien de se qualifier pour le World Tour l’an dernier d’ailleurs. Mais il y a de plus en plus de compétitivité, d’Américains et d’autres étrangers qui sont aussi forts que les Suisses. Le niveau est monté.

EG: Je suis persuadée que non. Et puis on est très proches des autres, des Français notamment. Il n’y a pas de frontière dans le freeride (rires). Après, ce qui est vrai, c’est qu’il y a beaucoup de choix en Suisse. Il y a de grosses structures pour l’alpin ou le freestyle notamment et on ne converge pas forcément vers le freeride.

Vous voulez encourager les jeunes à se lancer dans le freeride plutôt que le ski alpin ou freestyle?

YR: Non, ce n’est pas notre rôle. Surtout, l’esprit du freestyle et du freeride sont assez proches. Ca dépend beaucoup de l’endroit où t’as grandi en fait. Si c’est dans un park, tu vas faire du freestyle, au pied de Verbier, tu vas faire du freeride.

EG: C’est assez impressionnant de voir qu’à mon époque, on se lançait quasiment automatiquement dans le ski alpin. Désormais, c’est différent.

Vous vous voyez à long terme sur le World Tour?

EG: A un moment, il faudra savoir laisser la place aux jeunes. Ils poussent fort derrière. Ce circuit, c’est le meilleur des tremplins pour autre chose.

YR: Je compte continuer la compétition tant que ça me permets de progresser et de continuer à évoluer dans ce milieu. Si un jour je sens que ce n’est plus mon centre d’intérêt pour une raison ou une autre, je me tournerais vers autre chose. Je me projette au moins une année ou deux encore à faire des compétitions.

Comment vivez-vous les périodes d’attentes avant les compétitions?

YR: Assez mal en fait. C’est la pire période pour moi. T’as tendance à te sentir en vacances avec toute cette grande famille du freeride mais après, si tu veux réussis ta compet’, tu dois rester focalisé dessus. Il faut trouver un équilibre. Ça exige de se garder du temps pour soi et d’aller parfois à l’encontre de la facilité.

EG: Certains aiment s’isoler, d’autres pas du tout. Chacun sa méthode. Personnellement, j’essaie de ne pas trop me prendre au sérieux et d’oublier qu’il y a une compétition. Bon, jusqu’à maintenant ça ne m’a pas vraiment hyper bien réussi… Je vais peut-être songer à changer.

Outre la compétition, avez-vous d’autres projets cet hiver?

YR: J’aimerais bien avoir le temps de filmer à côté. Je sais déjà que ça va être compliqué car entre les épreuves on a souvent envie de relâcher un peu la pression, de skier pour nous et d’effectuer quelques réglages pour progresser. S’il me reste du temps à côté de tout ça, je veux m’entourer de gens assez professionnels pour monter un joli projet filmé. Ça va dépendre de l’agenda et du budget.

EG: Je suis un peu dans la même situation. J’ai aussi la rentrée universitaire après les voyages au Japon et au Canada. Pour moi, le film est assez secondaire pour l’instant.

Qu’est ce qui peut rapporter le plus?

YR: Ca dépend du niveau. A notre stade, je pense qu’on a intérêt à continuer la compétition. Après, faire des images à côté, c’est un plus.

Quel est votre meilleur et votre pire souvenir de ski?

YR: Mon pire, c’était l’an passé avant l’Xtreme. Je m’étais blessé à la cheville 3 ou 4 jours plus tôt mais j’avais vraiment envie de participer. Je ne savais pas ce que ça allait donner, même la veille. Le meilleur, c’était l’Alaska, parce que l’Alaska (sourire).

EG: Mon meilleur souvenir, c’est le moment où j’ai appris que j’allais être qualifiée pour le World Tour. Je l’avais tellement souhaité, c’était mon objectif depuis que j’avais commencé à faire du ski. C’était un moment fort en émotions. Mon pire souvenir? Je n’ai pas de mauvais souvenir, si ce n’est peut-être de ne pas être parvenue à me qualifier pour la finale l’an passé.

Votre idole?

YR: C’est un peu classique de dire ça, mais ça a toujours été Candide (Thovex), mais y’en a plein d’autres.

EG: Moi, c’est Yann.

YR: Merci (rires).

Votre film de ski préféré?

YR: Je crois l’avoir vu très récemment. Il s’agit de “Waking Dream” de Sam Favret. Il est magnifique et impressionnant, un peu comme “La Liste” (de Jérémie Heitz) mais au niveau cinématographique, il est encore mieux travaillé. J’ai vraiment adoré.

EG: Je vais quand même dire “This Is Home” de Faction.

Yann, vous finissez gentiment vos études et avez désormais plus de temps à consacrer au ski.

YR: C’est clair. Cet hiver, pour la première fois, je n’ai pas de cours. Le plan, c’est de ne rien avoir l’hiver prochain non plus. J’ai un stage tout l’été et après je ne sais pas.

Qui sont les favoris du Freeride World Tour cette année pour vous?

YR: Je suis tenté de répondre, mais je ne vais pas le faire.

EG: Le meilleur.

Allez, dites-nous en plus!

YR: Un Suisse (large sourire).

Propos recueillis par Laurent Morel