Au son de « Still D.R.E. », Nyjah Huston, sous les yeux de son interprète Snoop Dog, plaque parfaitement un « Crook’s nollie flip out », pour les initiés. La place de la Concorde s’embrase sous un soleil de plomb. Le spectacle est dans le « street » et dans les tribunes où crachent les décibels. Dans ce four surchauffé au décor de carte postale, le skateboard gagne ses galons olympiques, après une première dans l’anonymat covidée de Tokyo. Si les héritiers de Tony Hawk peuvent se targuer aujourd’hui du statut d’Olympiens, ils le doivent à la volonté du CIO de rajeunir son public cible avec des sports urbains, mais aussi au succès glané par le frère qu’est le snowboard depuis près de deux décennies lors des Jeux d’hiver. « Mais il est vrai qu’à l’époque, on n’aurait jamais pensé qu’un jour, notre discipline serait aux Jeux », sourit Delphine Vergères.
Skateboarding at the Concorde… admit it, it makes a good impression 🤩
— Paris 2024 (@Paris2024) July 29, 2024
–
Le skateboard à la Concorde… avouez que ça fait bonne figure 😎
📸 Paris 2024#Paris2024 pic.twitter.com/RdNShPTE3k
La Valaisanne de 43 ans est une spécialiste avisée du développement de son sport. Durant près de 10 ans, elle a écumé les plus beaux skateparks du continent et quelques autres de l’autre côté de l’Atlantique en sa qualité de meilleure skateuse suisse, participant notamment à de nombreux Championnats d’Europe. « J’a eu beaucoup de chance car j’étais la première à pratiquer ce sport à haut niveau en Suisse. Les sponsors m’ont suivie et aidée. » À la fin de sa carrière, Alexis Jauzion, actuel entraîneur de l’équipe de France, l’a poussée à rester dans un milieu qui manque de présence féminine. En 2019, Delphine Vergères a alors passé sa formation de juge internationale à Istanbul. Le Covid et le manque de temps pour exercer ont toutefois empêché celle qui travaille ä la police valaisanne de se rendre à Tokyo.
Entre boissons, moment de consolation et Tony Hawk
Trois ans plus tard, elle se retrouve cette fois bénévole au milieu du park de la Concorde grâce à Stéphane Larance, l’un des pionniers du skate français, qui a été mandaté pour la gestion de l’événement à Paris. « C’est un petit milieu, je suis avec des gars avec qui je trainais à l’époque. » Dans la capitale française, elle fait attention au bien-être des athlètes au bord du park, où elle s’occupe notamment de fournir les boissons, des serviettes et de la glace. « C’est plus facile de connaître les gars pour savoir à qui on a affaire. Histoire que l’on ne demande pas à Nyjah Huston, la rockstar de la discipline, qui il est », se marre-t-elle en profitant pleinement de l’événement. « J’ai eu la chance d’être la première sur le site ce lundi matin et de voir Tony Hawk skater. C’est fou! » Les athlètes connaissent la Valaisanne et l’apprécient. Dimanche, elle était une épaule réconfortante pour consoler l’Australienne Chloe Covell qui avait manqué sa finale.
La légende Tony Hawk s’est offert un petit tour dans le street de la Concorde. (DR)
Tout juste regrette-t-elle « un peu » que le skate n’ait pas été olympique plus tôt. « À l’époque, on ne se filmait pratiquement pas, car on avait pas forcément le matériel pour, on skatait pour le plaisir à la recherche de nouveaux spots. Aujourd’hui, ils ont des sacrés parks à peu près partout. Mais je suis contente de ma carrière et, aujourd’hui, je peux profiter de mon parcours. »
« La fédération suisse ne fonctionne pas »
En Suisse, on attend toujours l’éclosion des talents. Du haut des ses 16 ans, la Zurichoise Liv Broder est prédestinée à un brillant futur planche aux pieds. Mais comme le trentenaire Kilian Zehnder, elle a manqué sa qualification olympique. Selon Delphine Vergères, ces jeunes athlètes helvétiques n’ont pas les structures adéquates pour prospérer. « La fédé ne fonctionne pas bien », clame-t-elle en expliquant que la fédération ne rassemble pas la réalité de tous les riders du pays.
« On a essayé de réunir 100 skateurs de toute la Suisse il y a sept ans pour faire quelque chose qui tient la route, créer une fédération mais Swiss Olympic n’a rien voulu en savoir. Pour gérer le tout, une personne a été nommée mais elle ne représentait pas la scène suisse à notre sens. »
Toujours plus jeunes
Si les stars mondiales ne sont pas (encore) suisses, elles sont avant toutes brésiliennes, américaines et asiatiques. « Le niveau global est devenu complètement fou. Ils te sortent des figures toujours plus dures, plus complexes. Les filles ont progressé de façon exponentielle ces derniers temps », assure Delphine Vergères, qui analyse aussi le développement toujours plus précoce de ces jeunes athlètes, à l’image de la nouvelle championne olympique de street Coco Yoshizawa, une Japonaise de 14 ans.
« Le skate, ça parle aux jeunes avec leurs Nike, les boissons énergétiques comme et les marques de luxe. Après, les Chinoises, qui sont formatées depuis toute petites pour devenir des machines, tu te demandes si elles prennent véritablement du plaisir. » Contrairement à Delphine Vergères, à Snoop Dogg et au public en feu de la Concorde qui ont chanté et dansé à l’unisson devant les acrobaties des skateurs qui ont aujourd’hui pris la mesure de leur nouveau titre d’Olympiens.
Johan Tachet, Paris