Elle est la plus jeune skieuse à débuter sur le Cirque blanc depuis Mikaela Shiffrin et ses résultats sont très prometteurs. Sa mère est l’ancienne championne olympique Daniela Ceccarelli. Et elle skie pour l’Albanie. À tout juste 16 ans, Lara Colturi fait déjà beaucoup parler d’elle.

Depuis le début de la saison, l’abréviation “ALB” pour l’Albanie figure sur les les listes de départ des compétitions féminines de Coupe du monde. Ce petit pays des Balkans avait déjà eu des skieurs dans des compétitions masculines, mais jamais encore chez les dames. Mais l’arrivée de Lara Colturi a fait bouger les choses. Et le logo de la fédération de ski albanaise sur sa veste n’est pas la seule chose qui fait d’elle une skieuse hors du commun.

L’été dernier, elle participe à ses premières courses FIS au Chili et les gagne toutes les quatre. En Coupe AmSud (l’équivalent de la Coupe d’Europe), elle remporte le classement général avec six victoires en slalom, géant et combiné. La Coupe du monde est la prochaine étape logique et dès sa troisième course, elle marque déjà des points en terminant 17e en géant à Killington en novembre avant de confirmer avec une 20e place à Semmering le mois suivant.

Quelques semaines plus tôt, si le géant d’ouverture de Sölden n’avait pas été annulé, elle aurait battu la marque de précocité de Mikaela Shiffrin. Finalement, l’Américaine a débuté deux jours avant ses 16 ans, l’Albanaise quatre jours après… De là à tirer un parallèle, il n’y a qu’un pas.

Un avenir tout tracé

“Tout ce que je fais, je veux le faire bien. Il y a quelque chose en moi qui me pousse toujours à faire mieux que la fois précédente”, expliquait Lara Colturi lors d’un récent épisode du podcast The Next Turn. “Elle aime les défis, ajoute sa maman Daniela Ceccarelli. Et à chaque fois qu’on lui relève la barre, elle se surpasse à nouveau. C’est ce qui a poussé la famille à la lancer si vite en Coupe du monde.”

La skieuse est déjà à l’aise à l’interview. (SSW/SkiActu)

Il faut dire que Lara Colturi a pratiquement grandi sur les lattes. Daniela Ceccarelli, championne olympique italienne de super-G à Salt Lake City en 2002 et son mari Alessandro Colturi, qui était alors son skiman, ont vécu deux ans sur le Cirque blanc dans un immense camping car, promenant déjà leur fille sur les différentes étapes européennes de Coupe du monde. Le couple avait aussi une école de ski. Lara s’est tout naturellement entraînée avec l’équipe. En même temps, la jeune skieuse faisait ses preuves en patinage artistique, maîtrisant même les doubles sauts et participant à des compétitions régionales. Un atout inattendu lorsqu’elle décide de se consacrer principalement au ski: le prodige en a retenu comment utiliser ses carres et faire des virages sur la glace, selon sa mère.

La famille avant tout

Aujourd’hui encore, la famille constitue le noyau de l’équipe, avec Daniela Ceccarelli aux côtés de sa fille en tant qu’entraîneur. Un double rôle qui lui permet de veiller aussi bien à la performance sportive qu’au bien-être de sa fille, de s’assurer qu’elle prend le temps d’étudier, de se divertir et de se reposer. Et qu’elle garde les pieds sur terre, ce qui n’est pas forcément évident, notamment lorsque des gros sponsors tels que celui au logo du taureau rouge viennent frapper à la porte.

Plus que juste une skieuse d’exception, Lara Colturi est une adolescente joyeuse, insouciante, qui rigole presque à chaque fois qu’elle ouvre la bouche. “Je m’amuse comme une folle, nous confiait-elle à Semmering. Malgré les nombreux titres l’annonçant comme la nouvelle Mikaela Shiffrin, elle nie ressentir de la pression. “Non vraiment, je m’amuse juste. C’est comme un jeu pour moi!” Comment fait-elle pour rester aussi calme avec tous les regards tournés vers elle? “J’en sais rien!” dit-elle, et rigole de plus belle. En adolescente typique, elle ne se pose pas trop de questions en fait.

L’essentiel c’est que ça reste “fun”, que ce soit en compétition ou à l’entraînement. “En tant que coach, c’est dur, parce que je dois lui présenter une nouvelle situation chaque jour pour qu’elle ne s’ennuie pas”, note Daniela Ceccarelli. En tout cas, ça marche pour la jeune skieuse: lors de ses premiers Championnats du monde juniors à Sankt Anton il y a deux semaines, Lara Colturi a remporté une médaille d’or en super-G et une de bronze en géant. En descente, elle a terminé 4e à 0″05 du podium. Enhardie par ses résultats, elle est revenue en Coupe du monde pour finir deux fois 17e en géant, à Kronplatz. Le tout malgré des dossards peu favorables.

Un projet albanais

Reste la question de sa nationalité. Pourquoi skie-t-elle sous les couleurs albanaises alors qu’elle n’y a aucun lien à la base? La collaboration existe pour deux raisons: le petit pays balkanique cherche à développer son industrie du ski et lui a donc offert un passeport, et pour les parents de Lara Colturi, cette option leur permet de rester en famille, contrairement à la situation lors de laquelle la skieuse serait restée dans les rangs italiens. Par ailleurs, elle a pu effectuer ses débuts en Coupe du monde rapidement, sans avoir à gravir les échelons multiples traditionnels.

“Lara est un modèle pour les jeunes Albanais. Elle est motivée, elle bosse dur, elle étudie aussi à côté. La vie d’un skieur de haut niveau est difficile, mais ceux qui le veulent vraiment peuvent réussir, et Lara en est un exemple. Je lui souhaite de devenir la prochaine (Mikaela) Shiffrin,” explique Elvis Toci, président de la fédération albanaise de ski.

Lara Colturi fait partie d’un plus grand projet qui vise à faire de l’Albanie, longtemps isolée, une nouvelle destination du ski: pour le loisir et pour la compétition. Plus connu pour sa côte, le pays est pourtant composé à 70% de montagnes, avec des sommets allant jusqu’à 2’700 mètres et un bon enneigement, selon Elvis Toci. Mais les infrastructures sont quasiment inexistantes et les 40’000 Albanais qui skient le font surtout à l’étranger. “Nous avons des statistiques qui montrent que 60 millions d’euros quittent le pays en lien avec le sport. Alors l’argent est là. Mais on doit le garder en Albanie. Et on devrait attirer des gens de l’étranger aussi, y compris de Suisse”, relève-t-il.

Une Balkan Cup?

La fédération albanaise ne compte actuellement que 12 skieurs dans ses rangs et entend donc se développer. Une idée, qui doit encore être proposée à la FIS, serait de créer une Balkan Cup pour faire connaître la région. Bien qu’arborant le drapeau de l’Albanie, Lara Colturi ne s’entraîne pas là-bas: à l’instar de beaucoup de skieurs, elle répartit son temps entre les stations qui offrent la meilleure neige et les meilleures conditions. Mais Elvis Toci espère bien que les structures mises en place pour la soutenir produiront d’autres champions à l’avenir.

“Je suis sûr à 100% qu’on verra des bons résultats bientôt. Ce seront des résultats pour Lara d’abord, des résultats individuels, et en même temps l’Albanie se fera connaître. C’est exactement ça que l’on cherche,” dit-il, en prédisant déjà des titres mondiaux et olympiques pour la jeune skieuse.

Et pour l’adolescente, quels objectifs? “Oh, je ne sais pas, grogne-t-elle avant de rigoler une nouvelle fois. Pour l’instant, ma priorité c’est de m’amuser et ensuite on verra!” Et si elle créait déjà la sensation aux Championnats du monde à Méribel?

Sim Sim Wissgott