L’absence d’hélicoptère sur la piste lors des entraînements de descente à Beaver Creek continue de faire jaser. Si un aéronef était de nouveau en « stand by » dans la station ce jeudi, certains athlètes trouvent cette situation trop risquée. Les Suisses, eux, ne jettent pas la pierre à la FIS.
Décidément, le débat sur la sécurité en ski alpin est loin d’être terminé. Alors que tout le monde semblait travailler main dans la main depuis plusieurs mois, la situation à Beaver Creek a rappelé que les avis divergent encore, dans certaines situations. Les conditions météorologiques (très) compliquées dans les Rocheuses ont largement relancé le débat sur l’obligation de la présence d’un hélicoptère pour évacuer d’éventuels blessés lors des entraînements officiels et des courses.
Mardi et mercredi, en raison d’une visibilité très limitée, l’aéronef est resté « en stand by » en station, loin de la piste Birds of Prey, où se sont déroulés les essais chronométrés, selon nos informations. C’est cela qui a fait réagir beaucoup de monde, à commencer par plusieurs Autrichiens, qui s’en sont plaint dans la Krone Zeitung. Sauf que ceux-ci ont évoqué un souci réglementaire, alors que Markus Waldner, patron de la Coupe du monde masculine, a rappelé que le règlement laissait la possibilité d’avoir un « plan B » pour évacuer d’éventuels blessés, dans ce cas une voiture ou une ambulance.
« Un hélicoptère de sauvetage ou un moyen d’évacuation médicalement équivalent doit être disponible conformément à la législation locale. Le moyen d’évacuation choisi doit permettre l’évacuation immédiate du patient hors des pistes. » C’est ce qui est précisément indiqué dans le fameux règlement de la FIS. L’instance est donc dans son droit. C’est plutôt des questions morales sur la sécurité qui sont en jeu, alors que de nombreux cas de blessures graves, voire de décès, sont venus ternir l’image du sport ces derniers mois.
Adrien Théaux: « On ne doit pas être un sport d’amateurs »
« Personnellement, j’interprète le règlement différemment de la FIS », décryptait dans l’aire d’arrivée Adrien Théaux mercredi dans la foulée du deuxième entraînement. Le doyen de la Coupe du monde masculine en a vu de toutes les couleurs durant sa carrière, et du haut de ses 41 ans, il a assisté à de nombreuses chutes, dont celle qui a coûté la vie à son compatriote David Poisson à l’entraînement en 2017 à l’entraînement ou celle de Cyprien Sarrazin l’hiver dernier à Bormio.
« Il faut que la présence d’un hélicoptère soit obligatoire. Bien sûr, comme tout le monde, je veux toujours courir, mais si un jour comme aujourd’hui, on a une chute comme celle de Cyprien, tout le monde va s’en vouloir. On ne doit pas être un sport d’amateurs. On a entendu des grands discours il y a trois mois mais on ne respecte pas ce qu’on dit et on ne va pas dans le bon sens dès la première journée de descente. »
Comme tout le monde, le Français est conscient que cet entraînement était nécessaire dans l’optique d’organiser une course jeudi. Mais il n’en démord pas, c’était trop risqué. « Et ce n’est pas aux athlètes de prendre la décision de s’élancer ou non. Par ailleurs, je ne pense pas qu’en Formule 1, sans hélico, ils prennent le départ de la course. » Son compatriote Nils Allègre va dans la même direction. « S’il y a un accident grave, chaque minute compte », rappelle-t-il. « On ne peut pas se permettre. Le règlement n’est pas assez clair. »
Alexis Monney: « Si on n’a pas envie de prendre le départ, on en le prend pas »
Du côté suisse, on cherche plutôt à défendre les organisateurs, à commencer par Marco Odermatt, dont la voix compte particulièrement. « Ce n’est pas une thématique pour moi et cela ne doit pas être à nous de nous en inquiéter », a confié le meilleur skieur du monde, qui se satisfait du fait qu’un hélicoptère était en « stand by », sans réellement savoir si celui-ci pouvait décoller ou non. « Après, un hélico doit être prévu, c’est clair. » Alexis Monney reconnaît la sensibilité du sujet. « C’est très compliqué car ça va un petit peu à l’encontre de ce qui s’est dit ces derniers jours », décrit le Fribourgeois. « Après, à mon avis, si on n’a pas envie de prendre le départ, on en le prend pas. Mais je peux comprendre que ça énerve. »
Justin Murisier est du même avis. « Personnellement, j’ai dit qu’il n’y avait pas de problème », a confirmé le Valaisan. « Je sais me contrôler. Lors d’un entraînement, je suis là pour prendre des infos pour la course et pas pour faire le kamikaze. » Le Bagnard de 33 ans rappelle lui aussi la pression qui a été mise par certains athlètes pour avoir un maximum de courses au calendrier. « On veut tous plus de courses. On ne peut pas tout avoir à la perfection. Les filets étaient là, les secours étaient là, on était tous informés et on savait qu’on devait faire attention. » Médaillé de bronze en descente aux Mondiaux de Saalbach, Alexis Monney enchaîne. « J’étais aussi le premier à me plaindre qu’il n’y avait pas assez de courses au calendrier! »
Arnaud Boisset avait été évacué en ambulance
Même Arnaud Boisset ne contredit pas ses compatriotes. Pourtant, le Valaisan avait subi une grosse chute la saison dernière sur cette même piste de Beaver Creek, perdant connaissance. « L’année passée, je suis tombé lourdement et j’ai été évacué en ambulance jusqu’à Vail, pas en hélico et ça s’était bien passé », rappelle-t-il. Pour lui aussi, les athlètes doivent parfois prendre leurs responsabilités. « Parfois, il ne faut pas appuyer à 200% durant les entraînements, mais il est vrai que je trouve que ce serait un scandale si l’hélico ne pouvait pas voler un jour de course… » Heureusement, jeudi, le soleil devrait faire son retour sur le Colorado et la polémique s’éteindre, en tout cas provisoirement, avec lui.
Laurent Morel, Beaver Creek
