Pouvait-il en être autrement? Christophe Torrent pouvait-il ne pas devenir skieur professionnel? Difficile à imaginer, tant le parcours de « CC la terreur » – son surnom -, semblait dessiné pour en arriver là, un mois de février 2025, à Crans-Montana, où le Valaisan va dans quelques minutes seulement s’élancer en Coupe du monde, à quelques pas de chez lui, alors que le circuit masculin fait son retour dans la station du Haut-Plateau pour la première fois depuis 13 ans.
« Je prends encore plus de plaisir car c’est à la maison », avoue l’Arbazien à l’humour perçant. « Je connais plein de monde, tout le monde me salue, ça fait chaud au cœur et j’essaie de me nourrir de cette énergie car en Coupe d’Europe, on est souvent dans l’anonymat. » Car oui, c’est plus souvent dans l’antichambre de la Coupe du monde que Christophe Torrent fait ses armes. « Sans arrogance, je pense avoir des qualités qui conviennent mieux aux pistes de Coupe du monde. Sur les parties de glisse, j’ai passablement de peine alors que sur les pistes raides et les neiges verglacées, je peux faire la différence. » Vainqueur il y a neuf jours en Coupe d’Europe sur la Nationale, le Valaisan espère prendre cette énergie pour marquer ses premiers points parmi l’élite ce samedi.
« Quelques belles claques »
Sous ses airs de Marty McFly, héros du film culte « Retour vers le futur », Christophe Torrent se réjouit d’enfin avoir atteint le sommet, après un début de carrière qui n’a pas été un long fleuve tranquille. Le skieur d’1,72 mètres semble toutefois désormais apaisé. Très performant dans les catégories de jeunes, il a subi un premier coup d’arrêt à 17 ans. « J’étais doué et, petit, je gagnais assez facilement », se souvient-il. « Mais j’ai ensuite pris quelques belles claques peut-être car je n’arrivais pas toujours à concilier ma carrière sportive et mon apprentissage de géomètre. » Le changement de gabarit n’a pas non plus aidé. « J’étais un enfant de 60 kg et en quelques mois, je suis devenu un homme de 80 kg. L’adaptation a été très dure. Il faut se faire à un nouveau corps et ça modifie aussi la technique. » Il a fallu se remettre en question et travailler d’arrache-pied. Sauf qu’une grave blessure au genou droit (déchirure des ligaments croisés) subie lors d’une chute en janvier 2020 à Wengen l’a une nouvelle fois freiné dans sa progression.
Il a alors tout fallu recommencer, retrouver la motivation après une longue rééducation. « Ça aurait été dommage de s’arrêter sur une blessure. J’avais encore de la marge et du potentiel à exprimer. Mais j’étais vraiment au fond du trou! Heureusement, ma famille a toujours cru en moi et m’a toujours soutenu malgré mes résultats. D’ailleurs, mes parents ont payé des saison à 30 ou 40’000 francs jusqu’à mes 22 ans. » J’ai également eu de la chance d’être très bien entouré par mes entraîneurs, à commencer par Laurent Donato et Cyprien Richard qui venaient d’intégrer la structure. Si ma carrière n’avait pas croisé leur chemin, je ne serais pas là maintenant. »
L’idée d’arrêter lui a traversé l’esprit et il a fallu que les coaches lui offre une « dérogation » afin de rester au NLZ, le centre national de performance de Brigue. « J’ai pu me reconstruire avant d’intégrer les cadres de Swiss-Ski (ndlr: il fait aujourd’hui partie du cadre B). Ils ont vu en moi du potentiel que je n’exploitais pas. Ils ne m’ont pas mis dans le même moule que tout le monde. » Jamais le skieur qui a fait ses premières armes à Anzère ne les remerciera assez.
Didier Cuche en idole
Car depuis quelques années, sa courbe de progression suit une trajectoire ascendante, grâce aussi à l’aide d’un coach mental. Malgré quelques soucis de dos, désormais derrière lui, il est monté sur ses premiers podiums de Coupe d’Europe en février 2023, avant de faire encore mieux cette année donc, en s’imposant lors d’une des descentes de Crans-Montana. Une place fixe en Coupe du monde de descente la saison prochaine n’est désormais plus une utopie pour ce grand fan de Didier Cuche, dont le poster est encore affiché dans sa chambre à Arbaz. « Je n’ai pas envie de l’enlever », rigole-t-il. « C’était vraiment mon idole quand j’étais petit. Lors de ma dernière année NLZ, il est venu nous entraîné quelques fois en Coupe d’Europe, c’était ultra intéressant, très enrichissant. Il avait une approche d’ancien athlète et arrivait bien à savoir ce qu’on ressentait sur la piste. C’était impressionnant de voir comme il était pointilleux de voir les analyses vidéos et aussi sur la piste. J’ai beaucoup appris. Il m’a montré comment être minutieux, que regarder dans une vidéo. C’était très intéressant. Dans les médias, on disait souvent que c’était un grand travailleur, et bien je peux confirmer que c’est vrai. C’est aussi rassurant de voir qu’il a explosé plus tard que d’autres. Chacun a son parcours, le plus important c’est de croire en soi. » Et il l’a fait, bien aidé aussi par Valentin Crettaz, désormais entraîneur en Coupe du monde. « C’est quelqu’un de très perfectionniste, parfois peut-être un petit peu trop », glissait d’ailleurs il y a quelques mois celui qui est également très attaché à son canton du Valais.
Tombé dans la marmite du ski petit, avec un père représentant pour Atomic (Christophe skie désormais sur Rossignol), une mère ancienne skieuse du cadre B (« très talentueuse mais peut-être pas hyper consciencieuse ») et deux grands frères très impliqués dans le milieu également, CC la terreur aurait toutefois également pu se tourner vers d’autres sports. « Jusqu’à 14 ou 15 ans, j’ai également beaucoup joué au foot à Arbaz, mais maintenant, j’évite à cause des risque de blessures », décrit ce grand fan du FC Sion, qui a longtemps suivi le club, même à l’extérieur. « Je fais énormément de testais et je me suis mis au golf il y a quelques années, avec peu de réussite… » À ses heures perdues, il va également volontiers à la pêche. « C’est vrai mais je ne sais pas si j’ai vraiment la bonne technique. J’arrive toutefois à sortir deux ou trois truites… » La bonne technique, il l’a derrière la lunette de géomètre mais surtout sur les lattes, et Christophe Torrent est prêt à le prouver sur « sa » Nationale ce samedi.
Laurent Morel, Crans-Montana